jeudi 24 janvier 2008

Pitbull : la folle vogue d’un chien qui n’est pas au-dessus de tout soupçon


La scène se passe au printemps dernier dans une commune de la banlieue ouest de Paris, devant un restaurant rapide. L’une des serveuses sermonne un client parce qu’il jette des biscuits par terre pour nourrir son chien. Le propriétaire de l’animal menace. Un client intervient et semble calmer le jeu. En apparence, car le maître attend à la sortie. Et il lâche son animal sur l’intervenant, en criant « Tue-le ! ». Cruellement mordu à l’avant-bras droit et à la main gauche, la victime parvient à échapper au chien en sautant par-dessus une barrière. Les médecins lui accordent une incapacité de travail de trois mois. Le procès du propriétaire accusé de « blessures par imprudence » aura lieu en janvier.
Des histoires comme celles-ci, on pourrait en raconter… L’une des dernières en date a fait sensation, puisque les deux pitbulls agresseurs d’un octogénaire à Villepinte ont été tués sur arrêté préfectoral. Une première en France.
Dans la foulée, des maires prennent des arrêtés pour interdire la présence de ces chiens dans des lieux fréquentés par des enfants. D’autres l’avaient fait plus tôt, tel le maire communiste de Gennevilliers dans les Hauts-de-Seine qui a été le premier en France à avoir interdit la circulation de ces chiens sur la voie publique. Bilan après deux ans : les combats d’animaux ont disparu, mais on continue à voir des pits, car la police n’intervient pas toujours pour faire appliquer l’arrêté. Ailleurs, il y a de plus en plus de pits. Un inspecteur du commissariat de Stains, en Seine-Saint-Denis, parle d’« un effet de mode dans la « culture cité ». Selon lui, ce qui est frappant, c’est, outre les pits, la prolifération des gros chiens, des molosses, dans les quartiers difficiles ; animaux « dont on s’entoure pour impressionner ». Les rottweillers ou les staffordshires sont aussi très prisés, insiste-t-il. Les chiffres sont sujets à caution compte tenu des naissances sauvages, des importations illégales, notamment de Belgique. S’agissant des rottweillers, le nombre des naissances recensées est passé de 1.000 en 1995 à 3.000 actuellement. Le problème s’avère, dès lors, bien plus vaste.
Ces chiens « qui font peur » ne sont-ils pas le symbole d’une montée des comportements violents, dans des quartiers où le respect a de plus en plus tendance à se confondre avec la crainte que l’on inspire. La présence accrue de ces chiens en tout cas s’inscrit dans un climat de tension. Qu’ils soient affectueux ou agressifs, ces animaux inspirent la crainte. Ce qui n’est pas sans effet sur la vie quotidienne des habitants…
A Bondy (Seine-Saint-Denis), Yvette, soixante-quinze ans, avoue son appréhension lorsqu’elle croise le pitbull appartenant à son voisin du quatrième étage : « Le chien n’a pas l’air méchant mais quand même, on n’est pas tranquille. » Dans l’immeuble jouxtant le sien, un autre habitant fait régulièrement accoupler sa femelle rottweiller afin de vendre ensuite les petits. « Il en a toujours une tripotée et c’est des bons morceaux. Le soir, il les fait sortir sans laisse ; c’est pas normal et surtout dans un HLM où il y a plein d’enfants », s’alarme-t-elle. Pour Marco, commerçant dans le 18e arrondissement de Paris, « la présence de ces molosses instaure pratiquement un climat de psychose. Quand il y en a un dans la rue, je le capte direct. Ils sont de plus en plus fréquents sur la ligne 13 du métro ». Samir, titulaire d’un BTS en dessin industriel, semble du même avis : « Quand j’en rencontre au centre commercial de Créteil, c’est vrai que ça fait flipper. Je me méfie de la réaction du chien comme celle du maître. C’est pas l’un sans l’autre. »
Sur ce problème, Anthony, dix-sept ans, propriétaire d’un pitbull qu’il a appellé Kama, n’est pas dupe. « Dès que je marche dans les rues de Maisons-Alfort avec mon chien, il y a blocage. Les gens se décalent, prennent leur petit dans leurs bras ; certains vont même de l’autre côté de la rue. Ça m’énerve, car Kama s’en fout complètement des passants. » Anthony se défend totalement d’avoir acheté un pit pour « faire le méchant ». Il a voulu ce type de chien pour, dit-il, sa capacité athlétique. « Ce qui m’intéressait, c’est un chien vif qui a besoin d’exercice. » Comme ses copains venus avec lui, Arnaud qui a amené son bull terrier et Stéphane son rottweiller, Anthony est fier : « Il est beau, tout simplement. » Bien qu’au chômage, Anthony n’a pas hésité à dépenser 3.800 francs pour l’acheter chez un éleveur. Arnaud, en attente de son service militaire après son BEP productique, comprend, pour autant, l’appréhension des gens. « Le problème, assure-t-il, c’est que les personnes qui craignent les pitbulls ne les connaissent pas, c’était pareil pour moi avant. »
Nos trois compères concèdent, tout de même, qu’il existe un problème. Acquérir l’un de ces chiens, c’est un peu comme avoir le droit de posséder une arme. Sans parler des dealers et autres trafiquants qui ont trouvé ce biais pour faire la loi dans la rue, et mener leurs trafics mortels. D’autres n’ont pas ces intentions criminelles. « Beaucoup de jeunes de la rue veulent des chiens puissants mais ne connaissent rien à l’éducation canine. Dresser un chien, ça ne se fait pas n’importe comment », explique Stéphane qui, à vingt-sept ans, travaille comme maître-chien. « Il y en a plein qui veulent jouer les caïds, ils sont frustrés donc ils veulent un ami qui sait se défendre, qui assure », renchérit Arnaud. Ce dernier indique qu’il connaît quelqu’un qui après s’être fait violer a acheté un rottweiller : « Il voulait qu’il soit méchant et il l’a rendu tel quel. A la fin, le chien était fou, il mordait tout le monde. »
Devant ces risques, des voix prônent l’interdiction. Mais comment ? Quel animal interdire, quelle race ? Les avis sont partagés. Pour Samir, « c’est surtout les maîtres qu’il faut punir ». Marco est lui plus radical : « Comme on ne peut pas interdire les maîtres, il faut bien faire quelque chose. » Cependant, face à un problème avant tout social, quel effet aurait une décision d’interdiction sur cette tension latente qui règne dans les cités ? Or il y a urgence. Le gouvernement semble en avoir pris conscience, qui envisage un texte de loi réglementant la possession de ces animaux. Reste que si le pitbull est, avant tout, une victime de la violence humaine, c’est à elle qu’il faut s’attaquer.

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